Messeigneurs, Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
C’est un honneur pour moi que d’intervenir aujourd’hui dans cette conférence dont le
sujet m’intéresse particulièrement puisque je préside aussi le Mouvement fédéraliste
français, organisation fondée en 1944.
En première partie de mon intervention, je vais tenter de répondre à cette question :
depuis près de 8 siècles, quelles personnalités ont développé l’idée d’une organisation
de l’Europe et de ses principes fondamentaux ? Sur ce sujet, je conseille notamment
deux livres d’historiens, tous les deux italiens : celui de l’homme politique Federico
Chabod, intitulé « Histoire de l’idée d’Europe », paru en 1961 et celui du professeur Bruno
Arcidiacono intitulé « Une histoire des plans de pacification perpétuelle », paru en 2011.
D’autres auteurs ont écrit sur ce sujet, comme Denis de Rougemont et Bernard Voyenne.
Comme nous le verrons, l’énorme majorité des personnalités qui ont réfléchi sur
l’organisation de l’Europe et que je vais citer fondent leur conviction européenne sur leur
foi chrétienne, catholique ou protestante.
Auparavant, je souhaite rappeler que le principe de subsidiarité, principe central de
l’Union européenne aujourd’hui, et peut-être un jour sans doute lointain, pour les Nations
Unies de la terre entière, a été défini par Johannes Althusius, un juriste et homme
politique calviniste allemand en 1614 dans son livre intitulé « La Politique ». Ce livre, qui
fait plus de 700 pages, a été écrit en latin mais traduit en allemand, en anglais et,
seulement très récemment, en français.
Pour revenir à l’idée d’une construction européenne, c’est au début du 14ème siècle que
l’avocat français Pierre Dubois prône un regroupement des États européens chrétiens
avec un suzerain et une cour de justice européenne. Je ne vous étonnerai pas en vous
indiquant que, pour lui, les États européens doivent avoir le roi de France pour suzerain
effectif !
En 1458, l’italien Enea Silvio Picolomini, le futur pape Pie II, est l’auteur d’un livre « De
Europa », un véritable plaidoyer humaniste pour l’union des pays chrétiens d’Europe.
C’est à Picolomini que l’on doit le mot « européen » pour les habitants de notre continent.
Quelques années plus tard, en 1464, le roi de Bohème, Georges de Prodebrady propose
un projet très élaboré d’une confédération des rois et princes chrétiens » dotée d’une
assemblée permanente, une cour internationale de justice, un budget commun et une
défense commune.
En 1516, Le philosophe néerlandais Erasme écrit le « plaidoyer pour la paix » pour
« faire la guerre à la guerre », en proposant un seul pays européen dont le prince serait élu
par tous les habitants. C’est en mémoire d’Erasme que le programme d’échanges
d’étudiants au sein de l’Union européenne s’appelle Erasmus.
En 1560, le roi français Henri IV et son ministre Sully promeuvent une « République
fédérative » de l’Europe chrétienne.
En 1623 Emeric Crucé, un moine français, imagine une Assemblée permanente des
Princes ou de leurs représentants, siégeant à Venise, et ayant obligation de régler les
conflits en Europe.
En 1693, le quaker anglais William Penn développe un modèle de confédération
européenne autour d’un parlement composé de représentants d’États européens dont la
répartition des places correspondrait au poids économique et politique de chaque État.
Il avait 335 ans d’avance…
En 1713, l’Abbé de Saint-Pierre, un prêtre français qui avait participé aux négociations
pour la paix d’Utrecht, écrit le fameux « Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe ».
Il y décrit notamment un tribunal d’arbitrage et une armés commune.
En 1731, le magistrat et philosophe français Montesquieu écrit : « L’Europe est un État
composé de plusieurs provinces » !
En 1761, l’écrivain et philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau, dans son projet de
paix perpétuelle, reprend à con compte le Projet de l’Abbé de Saint-Pierre et développe
ce que serait une confédération avec une diète ou un congrès permanent.
Après la Révolution française, puis les guerres napoléoniennes, les prises de position en
faveur d’une Europe unie vont se multiplier.
En 1795, le philosophe prussien Kant, dans son livre « Vers la paix perpétuelle », promeut
pour l’Europe une « espèce de république générale ».
Au 19ème siècle, le nombre de personnalités qui écrivent sur la nécessité d’une Europe
organisée explose. Faute de temps, je vais juste en citer quelques-uns, ce n’est pas
exhaustif, avec l’année de leur projet européen :
Saint-Simon, philosophe et économiste français, en 1814
Tocqueville, magistrat, philosophe et ministre français, en 1834
Auguste Comte, philosophe et sociologue français, proposant en 1848 une association
libre pour l'instruction positive du peuple dans tout l'Occident européen.
Victor Hugo, le poète français, prônant les Etats-Unis d’Europe en 1849.
Carlo Giuseppe Mazzini, révolutionnaire italien et sa « Grande fédération européenne »,
en 1849.
Giuseppe Garibaldi, homme politique italien prônant en 1860 une « Confédération
d’Europe humaniste et pacifiste ».
Proudhon, philosophe et homme politique français, prônant le fédéralisme et la
subsidiarité en 1863.
Frédéric Mistral, poète français et prix Nobel de littérature, reprenant les thèses de
Proudhon, prônant le fédéralisme pour la France et pour l’Europe.
James Lorimer, juriste anglais, présentant en 1877 ce que serait un « État européen ».
Arrive le 20ème siècle et, avant et après les deux guerres mondiales provoquées par des
gouvernants européens, les prises de position en faveur de la construction européenne
sont trop nombreuses pour les citer, notamment dans les milieux catholiques et
protestants. Il faut y inclure celles des papes comme l’a évoqué Mgr Antoine Hérouard.
Je souhaite cependant rappeler que, juste après la 2nde guerre mondiale, 3 responsables
politiques profondément catholiques vont jouer un rôle essentiel pour la création de
l’Union européenne que nous connaissons aujourd’hui : l’allemand Konrad Adenauer,
l’italien Alcide de Gasperi et le français Robert Schuman. Les enquêtes pour l’éventuelle
béatification d’Alcide de Gasperi et de Robert Schuman sont terminées. Pour mieux les
connaître, je vous suggère notamment la lecture du livre intitulé « Aux racines chrétiennes
de l’Union européenne » consacré à ces 3 hommes et écrit par Don Gerlando Lentini,
prêtre sicilien décédé en 2019.
Après ces rappels historiques, je souhaite évoquer deux personnes contemporaines,
aujourd’hui décédées mais avec lesquels j’ai eu la chance de travailler.
Tout d’abord un homme presque inconnu mais qui a joué un rôle essentiel pour la prise
de conscience de l’Union européenne par tous les citoyens européens. C’est mon ami
italien Pietro Adonnino. Pietro, décédé aujourd’hui, était un avocat italien ; il fut président
mondial des anciens et anciennes élèves des Pères jésuites et l’un des fondateurs de
l’OMAEC, l’Organisation mondiale des anciens et anciennes élèves de l’enseignement
catholique. Vers la fin de sa vie, Pietro Adonnino, membre de la Démocratie Chrétienne,
fut élu au Parlement européen de 1979 à 1984. À ce titre, il présida le Comité sur l’Europe
des Citoyens, dont le rapport fut adopté par le Conseil européen réuni à Milan, en 1985.
C’est grâce à lui que l’Europe a un drapeau et que l’Union européenne a une fête : le 9
mai, jour de la déclaration Schuman du 9 mai 1950, c’est-à-dire la naissance de l’Union
européenne.
La deuxième personnalité contemporaine est le Cardinal Lustiger auprès duquel j’ai eu la
chance de travailler quelques temps. Après sa mort, nous avons organisé un colloque sur
« L’Europe selon Jean-Marie Lustiger », dont les propos sont dans ce livre. En parlant de
l’Europe, et plus particulièrement de la réconciliation franco-allemande, le Cardinal
aimait rappeler la prophétie d’Isaïe : « Le glaive sera transformé en soc de charrue, le loup
et l'agneau paîtront côte à côte… ».
Je souhaite conclure en citant une phrase du Père jésuite allemand Karl Rahner dans le
livre de 1983 « Europa Horizonte der Hoffnung » (Europe - Horizons d'espérance) qui
reprend un colloque où étaient notamment intervenus le Cardinal König, le Cardinal
Ratzinger et le Père Karl Rahner. Celui-ci écrit à propos de l’unification européenne :
« Damit ist dem Europäer mit recht ein Selbstgefühl und ein gewisser Stolz zugebilligt. Das
hat mit einem überheblichen Vergleich gegenüber anderen Völkern und Kulturen nichts
zu tun. Es bedeutet aber, dass der Europäer davon überzeugt sein kann, dass
heilsgeschichtlich und darin auch profangeschichtlich Europa eine im letzen positive
Bedeutung für die Gesamtgeschichte gehabt hat und hat, die vor Gott gültig ist.
Je traduis en français : « Cela confère aux Européens, à juste titre, un sentiment de
respect de soi et une certaine fierté. Cela n'a rien à voir avec une comparaison arrogante
avec d'autres peuples et cultures. Cependant, cela signifie que les Européens peuvent
être convaincus que, dans l'histoire du salut, et donc aussi dans l'histoire préchrétienne,
l'Europe a eu et continue d'avoir une signification finalement positive pour toute l'histoire,
une signification valable devant Dieu. »
Je vous remercie.